Le processus de serpentinisation est un des processus qui se produisent lorsque l'eau de mer s'infiltre dans les roches de la partie supérieure de la lithosphère océanique et entre en contact avec les minéraux ultrabasique qui les constituent. Ce processus peut conduire à la libération de dihydrogène (H2), lequel peut ensuite réagir avec le dioxyde de carbone dissous dans l'océan pour donner du méthane. Cette génération de dihydrogène par les réactions de serpentinisation est considérée comme un élément clé de la production de méthane et d'autres hydrocarbures abiotiques géologiques, au niveau des fonds océaniques mais aussi sur les terrains émergés de la Terre et probablement d'autres corps du système solaire. Ce processus, qui joue donc un rôle très important dans les flux de carbone échangés entre la géosphère et l'atmosphère, pourrait aussi avoir joué un rôle dans la synthèse organique pré-biotique à l'origine de la vie sur Terre.
Des réactions de serpentinisation se produisent également à de plus grandes profondeurs, dans les zones de subduction notamment, mais les liens entre ce processus et la production d'hydrocarbures abiotiques profonds étaient jusqu'à présent très incertains.

Lames minces, scannées en lumière transmise, d'une roche ultrabasique constituée de serpentine et carbonate ("ophicarbonate"), avant et après soninteraction avec des fluides chargés en dihydrogène. L'image de gauche ne montre aucune interaction entre la serpentine (Se) et les carbonates de calcium (Cc). Dans l'échantillontransformé, à droite, l'interaction de la roche avec du dihydrogène d'origine externe au système cause la réaction entre la serpentine et le carbonate et aboutit à la production de méthane abiotique dont une partie est immédiatement convertie en carbone condensé graphitique (noir) et l'autre libérée.
Les observations visuelles sur le terrain ont permis aux chercheurs de mettre en évidence, dans les roches étudiées, d'importantes structures de percolation de fluides se présentant notamment sous la forme de veines et de fronts réactionnels. L'étude pétrologique menée sur ces échantillons par microscopie optique et électronique (jusqu'à l'échelle micrométrique) leur a permis d'établir les mécanismes réactionnels de formation de ces roches. Des inclusions fluides primaires piégées dans les minéraux ont été détectées et étudiées par spectrométrie Raman et se sont avérées être principalement composées de méthane et de dihydrogène. Enfin, la nature abiotique de ces fluides primaires et leur lien avec les réactions profondes enregistrées dans ces échantillons naturels ont été confirmés par une étude des compositions isotopiques du carbone de ces échantillons et par modélisation thermodynamique.

Inclusions primaires du fluide profond piégé dans la roche, composées principalement de méthane (CH4) et de dihydrogène (H2), mais aussi localement d'eau. La microstructure montre comment les fluides sont libérés de l'interface entre la serpentine (Se) et la matrice de carbonate de calcium (Cc) vers l'extérieur. Photo en microscopie optique en lumière transmise polarisée.
Les processus de serpentinisation profonds pourraient ainsi libérer, en zone de subduction et pour l'ensemble de la planète, au moins 1 mégatonne de dihydrogène et 1,5 mégatonne de méthane abiotique par an, soit des flux extrêmement élevés et comparables à ceux estimés en contexte océanique.
Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives d'études sur la genèse d'hydrocarbures profonds et sur les mécanismes de transport de l'hydrogène et du carbone entre les réservoirs profonds et superficiels au cours de l'historie géologique de la Terre - et peut-être d'autres corps planétaires - ainsi que pour la synthèse d'hydrocarbures en laboratoire.